Les biocides : ces pesticides méconnus et pas toujours utiles

Moustiques, poux, parasites du chat ou du chien, pucerons sur les plantes, microbes sur les surfaces et sur les mains… Ces petits « indésirables » s’invitent souvent dans nos domiciles ou au jardin, au point de devenir parfois envahissants et nuisibles. Pour s’en débarrasser, nous utilisons des produits appartenant à la catégorie des « biocides ». Prises ou sprays contre les insectes, antipuces, antimousses pour la toiture, produits désinfectants… la liste est longue ! Ces biocides soulèvent pourtant de réelles questions sanitaires et environnementales. Alors que faire ? Est-il possible d’agir contre ces envahisseurs, tout en limitant notre exposition et notre impact ?

C’est quoi un biocide ?

Commençons par les bases : un biocide est un produit utilisé pour détruire, repousser ou rendre inoffensifs des organismes vivants jugés nuisibles, tels que des microorganismes (bactéries, virus, champignons), mousses, rongeurs, insectes (poux, moustiques, puces, tiques, cochenilles, fourmis…), etc.
Les biocides sont à usages domestiques, professionnels ou industriels. L’action du produit peut être chimique ou biologique, comme par exemple l’utilisation de bactéries pour tuer des larves de moustiques.

Il existe 4 familles de biocides (d’après la réglementation européenne UE n°528/2012) :

  • Les désinfectants : hygiène humaine, surfaces, eau potable… dont les antiseptiques pour la peau et les désinfectants pour la maison ;
  • Les produits de protection : traitement du bois, des matériaux, des fluides industriels… pour les protéger des attaques microbiologiques (comme la moisissure) afin d’augmenter leur durée de vie ;
  • Les produits de lutte contre les nuisibles : insecticides (contre les moustiques, cafards…), les rodenticides (contre les rongeurs), les répulsifs ;
  • Les autres produits biocides : peintures antisalissures des bateaux, fluides pour embaumement, etc.

Des biocides partout dans la maison

Ces produits peuvent se présenter sous forme de sprays, gels, poudres, peintures, dispositifs à usage unique… et sont utilisés dans de nombreux contextes et applications, bien au-delà des seuls usages professionnels.

Ce sont les produits désinfectants de la maison (eau de javel, produits de nettoyage), les cosmétiques qui contiennent pour la plupart des conservateurs antibactériens, les antimites, les traitements antiacariens, les sprays antipoux pour textile, les colliers antiparasitaires répulsifs des animaux… Au jardin, on les trouve dans les traitements antimousses de terrasse ou toiture, dans les produits de traitement de la piscine… Il y en a même à notre insu dans les matelas, les matériaux de construction, le bois traité, les adhésifs, colles, enduits, mastics, mortiers, bétons ou plâtres, peintures ou vernis traités (Etude Biocid@home, LEESU) [1].

Selon une étude de l’Anses, 74 % des ménages français ont utilisé au moins un produit pesticide au cours de l’année, majoritairement un insecticide. Et 34% des ménages utilisent des médicaments vétérinaires de type antiparasitaire (Etude Pesti’home, Anses 2019) [2]. En moyenne, on trouve 8 molécules biocides dans l’air intérieur d’un habitat, sur 35 recherchées (Étude ATMO Nouvelle-Aquitaine, 2018-2019) [3]. Et ce sont parfois des substances interdites !

Le Diuron par exemple, un herbicide interdit depuis 2008 en agriculture en raison de sa toxicité (classé comme sensibilisant, cancérogène, mutagène, reprotoxique par l’Ineris), est encore retrouvé dans les eaux pluviales en milieu urbain. Et pour cause : celui-ci reste autorisé comme biocide pour la protection des toits, façades, ainsi que dans les matériaux d’entretien et de construction (Etudes DDTM 35 + Universités de Fribourg et Lunebourg) [4].

Que dit la règlementation ?

Ces produits ne relèvent pas tous du même cadre réglementaire. Il faut distinguer les biocides, les produits phytosanitaires, les antiparasitaires vétérinaires et humains.

La règlementation dépend du type de parasite visé, du mode d’action, et de la cible (plantes, humains, animaux, ou autres).

Les biocides sont encadrés au niveau européen par le Règlement sur les Produits Biocides (RPB, règlement (UE) n° 528/2012). Dès qu’une substance active est approuvée au niveau européen, les produits en contenant doivent ensuite obligatoirement faire l’objet d’une évaluation complète par l’ANSES (dans le cadre des demandes d’autorisations de mise sur le marché en France), afin de vérifier leur innocuité et leur efficacité.

Toutefois, des autorisations provisoires peuvent être accordées à certains produits même si les substances actives sont toujours soumises à examen au niveau européen – dans le cas d’un réexamen par exemple ou d’une nouvelle substance active [5]. Si une non-autorisation finit par être rendue par l’ANSES, le produit devra être retiré du marché français.

Les produits doivent également respecter des règles en termes de déclarations et d’étiquetage (règlement (UE) n°528/2012). Pour autant, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes relève chaque année de nombreuses anomalies : beaucoup d’entre eux ne les respectent pas ! [6]

Les antiparasitaires vétérinaires et humains sont quant à eux considérés comme des médicaments. La règlementation est donc différente. Ils sont soumis à une autorisation de mise sur le marché délivrée par l’Agence nationale de sécurité du médicament pour l’humain, et par l’Agence Nationale du Médicament Vétérinaire pour les animaux.

Mais des confusions existent largement. Car une même substance active peut avoir à la fois une version médicament (ex. pipette vétérinaire antiparasitaire) et une version biocide ménager (ex. spray répulsif pour l’habitat). Et ce n’est pas la même règlementation qui s’applique. Une même substance active peut ainsi être interdite dans des produits phytosanitaires, mais autorisée dans un biocide (comme par exemple le diuron), et qui plus est, en vente libre ! Car si certains de ces produits sont accessibles uniquement via des circuits professionnels, d’autres peuvent être achetés en grandes surfaces ou en pharmacie, sans ordonnance.

La loi EGALIM (2019) interdit tout de même la promotion commerciale de certains biocides en libre-service. Il est également interdit de qualifier un biocide de « naturel », « non toxique » ou « respectueux de l’environnement », sauf preuve scientifique (règlement (UE) n°528/2012). Enfin, l’usage professionnel de certains produits nécessite désormais un certificat spécifique intitulé « Certibiocide » : il est possible de vérifier la validité du certificat en renseignant le nom, prénom et n° de certibiocide d’un professionnel.

Des risques sanitaires et environnementaux bien présents

Si tous ces biocides offrent des avantages indiscutables, ils ne sont pas sans risques. Beaucoup peuvent être toxiques pour les êtres humains, les animaux non ciblés, ou contaminer l’environnement.

Nombre de substances biocides irritent les yeux, la peau ou les voies respiratoires ; et une utilisation fréquente ou inadaptée peut entraîner des effets chroniques (troubles respiratoires, cutanés…), ainsi qu’une résistance des organismes ciblés.

Certains composés – comme les pyréthrinoïdes (perméthrine, deltaméthrine, cyperméthrine…) présents dans les prises antimoustiques, sprays antiacariens ou antipoux sur textile, colliers antipuces… – sont suspectés d’avoir des conséquences sur le comportement (anxiété, dépression), sur les facultés cognitives et le neurodéveloppement de l’enfant (troubles du langage, TSA, TDAH). L’exposition domestique (lors du traitement des animaux de compagnie ou de l’utilisation d’insecticides pour la maison) jouerait un rôle dans l’augmentation de l’incidence de certaines pathologies chez les enfants comme les leucémies, les troubles neurodéveloppementaux [7].

Une fois utilisés, ces produits finissent dans l’environnement via l’air, la pluie ou les eaux usées. Leurs principes actifs peuvent affecter les insectes pollinisateurs, les poissons et les organismes aquatiques, même à de faibles concentrations. Des biocides sont fréquemment détectés à concentration élevée dans les cours d’eau en aval des grandes villes, comme l‘imidaclopride, un insecticide de la classe des néocotinoïdes dits « tueurs d’abeilles » dans des eaux urbaines au Royaume-Uni [8]. De même pour le diuron, dans les eaux pluviales urbaines en Bretagne [3] ou le fipronil dans la Garonne et l’estuaire de la Gironde, utilisé couramment comme antipuce pour les animaux de compagnie [9].

Leurs effets négatifs sur le vivant sont pour beaucoup démontrés, ce pourquoi certains ont été interdits dans certains usages de l’agriculture française [10]. Même si les concentrations seraient plus faibles dans les biocides ménagers que dans les pesticides pour l’agriculture, l’exposition régulière dans nos logements pose question, tout comme l’impact sur l’environnement. Longtemps négligée, l’évaluation de ces risques fait désormais l’objet de plus en plus d’études, même si l’effet cocktail* et l’exposome** restent à approfondir. Le programme de recherche Biocid@Home par exemple, étudie actuellement leur utilisation dans les matériaux de construction, ou encore l’étude Pestiloge dans les logements [11].

Enfin, autre danger sous-estimé : celui des accidents domestiques. Erreurs de dosage, mauvais stockage, exposition des enfants… L’Anses a recensé plusieurs dizaines d’accidents graves entre 2015 et 2019 [12].

Heureusement, adopter les bons réflexes à la maison, c’est possible ! Des gestes du quotidien permettent de limiter, voire d’éliminer complètement l’usage des produits biocides, sans sacrifier l’hygiène et la protection.

Références directes

[1] Programme de recherche Biocid@home (LEESU, 2021-24) : https://www.leesu.fr/presentation-du-programme-de-recherche-biocid-at-home

[2] Étude Pesti’home (Anses, 2019) : https://www.anses.fr/fr/content/etude-pestihome

[3] Mesure des biocides en air intérieur (Atmo Nouvelle-Aquitaine, 2019) : https://www.atmo-nouvelleaquitaine.org/publications/mesure-des-biocides-en-air-interieur

[4] Etude du transfert de Diuron, de la Carbendazime et de la Terbutryne dans les eaux pluviales de lotissements (DDTM 35, 2017) : https://www.eauetphyto-aura.fr/documents/etude_du_transfert_de_diuron_proxalis_2017-05.pdf

+ Sources and pathways of biocides and their transformation products in urban storm water infrastructure of a 2 ha urban district, Universités de Fribourg et de Lunebourg (Hydrology and Earth System Sciences, 2021) : https://www.navebgo.uni-freiburg.de/fr/recherche-actuelle/sources-et-voies-d2019entree-des-biocides-et-de-leurs-produits-de-transformation-dans-linfrastructure-des-eaux-pluviales-dun-district-urbain-de-2-ha-aout-2021/sources-et-voies-d2019entree-des-biocides-et-de-leurs-produits-de-transformation-dans-linfrastructure-des-eaux-pluviales-dun-district-urbain-de-2-ha-aout-2021

[5] Comprendre le règlement sur les produits biocides, Agence de l’Union européenne ECHA : https://echa.europa.eu/fr/regulations/biocidal-products-regulation/understanding-bpr

+ L’évaluation des produits biocides, comment ça marche ? (Anses, 2020) https://www.anses.fr/fr/content/levaluation-des-produits-biocides-comment-ca-marche

+ Produits biocides (Ministère de la Transition écologique, 2022) : https://www.ecologie.gouv.fr/produits-biocides

[6] Sécurité des produits chimiques, biocides et détergents : de nombreux défauts d’étiquetage (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes DGCCRF, 2024) : https://www.economie.gouv.fr/dgccrf/laction-de-la-dgccrf/les-enquetes/securite-des-produits-chimiques-biocides-et-detergents-de

+ Produits chimiques, biocides et détergents : la DGCCRF relève d’importants manquements en matière d’étiquetage (DGCCRF, 2023) : https://www.economie.gouv.fr/dgccrf/laction-de-la-dgccrf/les-enquetes/produits-chimiques-biocides-et-detergents-la-dgccrf-releve

[7] Pyréthrinoïdes : un danger invisible dans nos maisons (Association Santé Environnement France, 2025) : https://www.asef-asso.fr/actualite/pyrethrinoides-un-danger-invisible-dans-nos-maisons/

+ Impact de l’exposition environnementale aux insecticides sur le développement cognitif de l’enfant de 6 ans (INSERM, 2015) : https://ipubli.inserm.fr/bitstream/handle/10608/14343/2015_06_09_CP_InsecticVsDvlptCognEnf.pdf?sequence=1&isAllowed=y

+ van Maele-Fabry et al., 2019 : https://www.inrae.fr/sites/default/files/pdf/25b3947ab76376115d58936298b2ab63.pdf

+ Les biocides domestiques les plus courants (Que choisir, 2016) : https://www.quechoisir.org/decryptage-pesticides-les-biocides-domestiques-les-plus-courants-n5137/

+ bibliographie Wikipédia https://fr.wikipedia.org/wiki/Pyr%C3%A9thrino%C3%AFde#cite_note-16

[8] Are urban areas hotspots for pollution from pet parasiticides? (Imperial College London, Grantham Institute ; March 2023)

[9] Rapport technique du projet CONTROL « Estuaire de la Gironde et milieux associés » (SMIDDEST, 2019 -2021) : https://www.smiddest.fr/media/20982/2021_projet_CONTROL_rapport_estuaire_vf.pdf

[10] Pesticides : l’Efsa recommande de limiter drastiquement l’exposition à l’acétamipride (Actu-environnement, 2024) : https://www.actu-environnement.com/ae/news/pesticides-efsa-avis-acetamipride-44091.php4

+ Pesticides : le néonicotinoïde réautorisé en France par la loi Duplomb est-il vraiment sans danger ? (La dépêche, 2025) : https://www.ladepeche.fr/2025/05/25/pesticides-le-neonicotinoide-reautorise-en-france-par-la-loi-duplomb-est-il-vraiment-sans-danger-12711000.php

[11] Programme de recherche Biocid@home https://www.leesu.fr/presentation-du-programme-de-recherche-biocid-at-home

+ Résultats de l’étude PESTILOGE : https://www.anses.fr/fr/content/presence-de-pesticides-dans-lair-et-les-poussieres-des-logements-resultats-de-letude

[12] Produits chimiques biocides : pourquoi il est important d’en limiter les usages ? (Anses, 2023) https://www.anses.fr/fr/content/biocides-limiter-usages

Pour aller plus loin

* L’effet cocktail correspond à l’effet nocif résultant de la combinaison de substances chimiques qui, étudiées individuellement, sont considérées comme sans danger pour la santé humaine.

** L’exposome correspond à l’ensemble des expositions environnementales auxquelles nous sommes soumis tout au long de notre vie, via notre alimentation, l’air que nous respirons, les rayonnements qui nous bombardent, nos comportements, notre environnement sonore, psychoaffectif ou encore socioéconomique (INSERM).

Article rédigé par Claire Moras. Merci à Juliette Gaillard du SMIDDEST, Camille Lasserre d’EcoVeto et à l’équipe du Ceseau pour leur relecture et commentaires (Claire Richard, Leslie Migné, Thomas Fauré).

Crédits photos : Freepik, Freeimages (Magri), Pixabay (makamuki0), Pixabay (francok35)

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site est protégé par reCAPTCHA et la Politique de confidentialité, ainsi que les Conditions de service Google s’appliquent.

Centre de préférences de confidentialité

Necessary

Advertising

Analytics

Other

Restez informé

Inscrivez vous à notre newsletter

Recevez les informations régulières de l’association et de nos actions.