Perturbateurs Endocriniens : pourquoi ne sont-ils pas tous interdits ?

Parmi les perturbateurs endocriniens* avérés, on trouve le plomb, les parabènes, les phtalates et le bien connu bisphénol A. Mais sont-ils pour autant tous interdits en France et à l’échelle internationale ? Et qu’en est-il des autres substances qui se comptent par milliers et que l’on retrouve dans nos objets et produits du quotidien ? Santé Publique France a mené récemment une vaste étude** afin d’analyser la quantité de ces substances dans nos organismes. Les résultats sont saisissants : les bisphénols, les phtalates, les solvants et les parabènes sont présents dans l’organisme de tous les français adultes et enfants ! Or, ces substances sont pour la plupart toujours autorisées alors que leurs effets commencent à être démontrés. 

Le cas des Bisphénols, tellement utiles… et toxiques à la fois

Le bisphénol A (ou BPA) est une substance chimique de synthèse utilisée depuis plus de 50 ans dans un grand nombre d’applications industrielles pour ses propriétés mécaniques et optiques : il est transparent, il résiste bien à la chaleur et il est facile à stériliser. Il est utilisé dans la fabrication de plastique de type polycarbonate pour la vaisselle, les bouteilles réutilisables en plastique, les équipements sportifs, les CD et les DVD… On le retrouve également sous forme de résines époxydes utilisées dans le revêtement des canalisations et auparavant, dans les boîtes de conserve et canettes, car il augmente la durée de conservation des produits et empêche que la nourriture ou la boisson concernée n’ait un goût de métal. Le BPA est aussi utilisé comme composant d’autres polymères et résines (polyesters, polysulfones, résines vinylesters…). Il intervient dans la synthèse de certains retardateurs de flamme (textiles, jouets) et comme révélateur dans les papiers thermiques, tels que les tickets de caisse, de stationnement ou de transports publics. Longtemps, le Bisphénol A a été présent dans les emballages alimentaires.

 

En 2009, le Ministère de la Santé a chargé l’Anses de mener un travail d’expertise d’envergure sur une trentaine de substances identifiées comme perturbateurs endocriniens* pour la reproduction et la fertilité, incluant notamment le Bisphénol A. En 2010, la France suspend la commercialisation des biberons contenant du BPA, et en 2011, l’Union Européenne fait de même. La même année, l’Anses recommande une réduction de l’exposition de la population au BPA, essentiellement dans les matériaux au contact de denrées alimentaires. En 2013, l’Anses confirme ses recommandations à travers différentes études et le Bisphénol A est interdit dans tous les contenants alimentaires le 1er janvier 2015, soit deux ans après ! Et seulement dans les contenants alimentaires.

 

Lorsqu’une molécule est interdite, les fabricants n’ont donc plus qu’à lui trouver une remplaçante aux propriétés identiques. C’est ainsi que de nouvelles molécules de synthèse arrivent constamment sur le marché, sans aucun test ni demande d’autorisation spécifique. L’argument « Garanti sans Bisphénol A » cache donc souvent l’utilisation de ses cousins, les Bisphénol B, F ou S.
Si pour l’heure, les chercheurs manquent de recul et si les données toxicologiques restent insuffisantes, deux études récentes de l’INSERM et de l’ANSES les classent toutefois dans les perturbateurs endocriniens au même titre que le BPA. Et ils ne sont toujours pas concernés par le principe de précaution…

 

Principe de précaution, principe d’action 

Le “principe de précaution” apparaît dans les années soixante, pour encadrer les expérimentations de modification de l’ADN. En 1992, la Déclaration de Rio introduit une définition plus formelle de ce principe dirigée vers l’environnement : « En cas de risque de dommages graves ou irréversibles, l’absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l’adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de l’environnement ». A la suite de cela, en 1995, la loi Barnier intègre ce principe dans le droit français interne avant qu’il soit finalement constitutionnalisé en 2004 par la signature de la Charte de l’Environnement qui reconnaît alors les droits et les devoirs fondamentaux relatifs à l’environnement. 

Le principe de précaution doit être compris comme un principe d’action, c’est-à-dire qu’il encourage les Etats à ne pas attendre la connaissance scientifique pour agir en cas de risque pour la santé et l’environnement. Le principe de précaution a été invoqué à plusieurs reprises pour qualifier les perturbateurs endocriniens. Il s’agirait maintenant d’aller au-delà de la précaution en ce qui concerne ces particules puisque un certain nombre a déjà été avéré toxique comme les Bisphénols, et d’entrer à présent dans la prévention et l’interdiction généralisée de ces micropolluants en amont de la contamination. Malheureusement, l’interdiction de ces substances invisibles dont l’effet se mesure à long terme est complexe et aboutit peu, du fait notamment des intérêts économiques qu’ils sous-tendent. Ainsi peut-on véritablement les interdire ? Et si oui, qui peut le faire ? 

Conflit d’intérêts : les autorités publiques, les lobbies et la santé des consommateurs 

L’OMS ? L’Organisation Mondiale de la Santé est un organe supranational de conseil aux Etats en termes de santé. A ce titre l’OMS n’a qu’un rôle consultatif et ses avis ne peuvent faire office de lois. C’est pourquoi, même si on y présente régulièrement des rapports sur la toxicité des perturbateurs endocriniens, les Etats sont libres de passer outre

L’UE ? L’Union Européenne, qui pourrait apparaître comme une autorité légitime en la matière puisque ses décisions s’imposent aux Etats membres, avance elle aussi difficilement sur la question des perturbateurs endocriniens. Elle rencontre notamment des difficultés à proposer une définition assez englobante de tous les perturbateurs endocriniens, ce qui empêche de les identifier et donc de les interdire. A cela s’ajoute la pression des lobbies qui défendent leurs intérêts économiques et qui jouissent d’un pouvoir important. Pourtant depuis 2000, une Directive Cadre sur l’Eau a été mise en place et comporte une liste des substances prioritaires à éliminer.

Et les Etats ? A l’échelle française, en Septembre 2019, la Ministre des Solidarités et de la Santé, accompagnée de la Ministre de la Transition écologique et Solidaire, ainsi que du Secrétaire d’Etat chargé de la Protection de l’Enfance, ont présenté la deuxième Stratégie Nationale de lutte contre les perturbateurs endocriniens. Elle se structure autour des trois enjeux prioritaires : former et informer, protéger l’environnement et les populations, améliorer les connaissances en accélérant la recherche. Au niveau national on remarque aussi la mise en place de plusieurs Plans Nationaux Santé Environnement (PNSE) déclinés ensuite selon les régions. 

A notre échelle personnelle, nous pouvons aussi agir. En effet, si nous voulons contourner tous ces enjeux politiques, économiques et d’influence qui bloquent la protection de notre santé et la préservation de la qualité des milieux, nous pouvons choisir nous-même d’en faire notre priorité. Favoriser certains produits plutôt que d’autres, faire attention aux emballages que nous utilisons, nous renseigner davantage, sont tout autant de façons d’influer sur le cours des choses et préserver notre santé, l’eau et l’environnement qui sont extrêmement liés. 

Ces moyens de pression de la société civile ont déjà été utilisés à plusieurs reprises et ont fait leurs preuves. De nombreuses interdictions prennent le même chemin. D’abord un problème émerge, on découvre que des personnes sont contaminées, on recoupe les cas et on y trouve des similitudes. Ensuite, des lanceurs d’alerte se saisissent du problème, se font porte-parole de la cause et permettent aux médias de relayer l’information. Grâce à cette médiatisation, des études scientifiques sont financées et si les résultats sont saisis par une entité politique, une bataille pour la réglementation peut commencer. Si cette bataille peut durer des dizaines d’années, la société civile détient toutefois un réel pouvoir que nous ne devons pas négliger.  

*D’après la définition de l’OMS, « les perturbateurs endocriniens  sont des substances chimiques, d’origine naturelle ou artificielle, étrangères à l’organisme et qui peuvent interférer avec le fonctionnement du système endocrinien et induire des effets néfastes sur cet organisme et sur ses descendances ». 

** Etude menée entre 2014 et 2016 intitulée ESTEBAN 

Pour aller plus loin : 

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